Il y a 20 ans, Thomas Sankara

Publié le par Journal L'Autre-ment

Publié en Novembre 2007 dans l'Autre-ment N°4

 

IL Y A 20 ANS, THOMAS SANKARA

 

Il avait choisi de se battre pour son peuple, avec son peuple. Il se plaçait du côté de l’internationalisme humaniste. Rêve d’un monde plus égalitaire où l’homme serait enfin replacé au centre. Le 15 octobre 1987, vers 16h30, dans les bureaux du siège de l’entente de Ouagadougou, il tombe avec douze de ses compagnons sous les balles d’un détachement militaire. « Un médecin délivre le permis d’inhumer : Sankara, « mort naturelle ». Son corps est enterré à la sauvette dans une tombe trop petite »1.

 

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Quatre ans plus tôt, le 4 août 1983, Thomas Sankara était devenu le président de la République de Haute-Volta, rebaptisé un an après Burkina Faso, « le pays des hommes intègres » (mots empruntés aux deux langues vernaculaires, le mooré et le dioula). Ce pays d’Afrique Sub-saharienne, enclavé, sans ouverture sur la mer, est alors l’un des plus pauvres du monde où la moyenne de vie ne dépasse pas 40 ans, où le taux d’analphabétisme s’élève à 98% de la population, où il y a un médecin pour cinquante milles habitants... Un pays qui a trop souffert des malversations d’hommes politiques corrompus et subit lourdement le poids du néocolonialisme à la française, autrement connu sous le nom de françafrique.

 

Dès son accession au pouvoir, Thomas Sankara s’affiche comme l’homme de la révolution populaire et démocratique : « Il faut proclamer qu’il ne peut y avoir de salut pour nos peuples que si nous tournons radicalement le dos à tous les modèles que tous les charlatans de même acabit ont essayé de nous vendre vingt années durant. Il ne saurait y avoir pour nous de salut en dehors de ce refus-là. Pas de développement en dehors de cette rupture-là. »2. Le mot d’ordre est lancé.

Le pouvoir est orchestré par le Conseil National de la Révolution (CNR), que dirige le chef d’Etat, et les Comités de Défense de la Révolution (CDR) qui, au niveau local, dans chaque village, traitent des affaires administratives, économiques et judiciaires. De grandes actions sont ainsi lancées. Nous pourrions citer pêle-mêle la campagne massive de vaccination pour faire chuter le taux de mortalité infantile, la construction de nombreux hôpitaux et écoles, la campagne de reboisement pour parer à l’avancée du Sahel, les différentes mesures en faveur de la libération de la femme (l’excision est interdite, la polygamie réglementée), la mise en place de diverses aides au logement, etc… Mais l’acquis le plus significatif réside, peut-être, dans la restauration des conditions de production agricole. La paysannerie définit et gère elle-même de grands chantiers allant de la maîtrise de l’eau à l’aménagement des terroirs. La révolution instaurée peut se glorifier d’avoir rompu avec le déficit vivrier structurel. « Consommons burkinabé ! » déclarait Sankara le 4 août 1984, car le pays doit vivre de ses propres forces et au niveau de ses propres moyens. Pour montrer l’exemple, Thomas Sankara roule en Renault 5, vend toutes les Limousines de l’Etat et s’habille burkinabé.

 

Mais revenons sur le parcours de l’homme politique. Né le 21 décembre 1949 dans le centre nord du Burkina, Thomas Sankara opte d’abord pour une carrière militaire. Il est envoyé, en 1970 à l’académie militaire d’Antsirabé, à Madagascar. Là, il est le témoin d’un soulèvement populaire massif qui, par sa fougue combative, a rapidement raison du très controversé président Tsiranana. Sankara comprend que la révolution est une condition nécessaire pour l’autodétermination des peuples. Par la suite, il fait un voyage en France où il fréquente assidûment les foyers mal chauffés d’étudiants et d’ouvriers immigrés. Il en profite pour lire beaucoup car, affirme-t-il « un militaire sans formation politique et idéologique est un criminel en puissance ».

En 1974, il rentre en Haute-Volta et devient, bien malgré lui, un héros lors de la guerre contre le pays voisin, le Mali, guerre qu’il qualifiera « d’inutile ». Sa popularité va grandissant au sein de l’armée et de la population civile : il tente alors d’établir à partir du camp militaire de Pô, une collaboration entre soldats et paysans par des activités agricoles et culturelles. En septembre 1981, porté par l’engouement collectif, il devient ministre de l’information sous le gouvernement de Saye Zerbo. Un an après, il démissionne en déclarant publiquement « Malheur à ceux qui bâillonnent le peuple », ne voulant pas jouer le jeu d’une démocratie vérolée de toute part.

Sept mois plus tard, un coup d’Etat instauré par l’armée nationale porte au pouvoir le capitaine Jean-Baptiste Ouedraogo, et nomme Sankara premier ministre. Il est l’homme de la parole vivante, virulente, progressiste et devient donc une menace pour l’ordre établi. Les différents courants conservateurs sont prêts à tout pour rester assis dans leur fauteuil de dirigeants: le 17 mai 1983, Sankara est arrêté. La résistance s’organise depuis le camp de Pô : le 4 août 1983 quelques trois cents commandos et un milliers de civils armés marchent sur Ouagadougou, renversent le régime en place et libèrent le « capitaine peuple », Thomas Sankara. C’est naturellement qu’il devient à trente-trois ans le chef d’état de la jeune république africaine et met en place la révolution permanente.

 

Thomas Sankara est certes l’instigateur de nombreuses réformes politiques nationales offrant un visage humain au cadre légal, mais il est également l’incarnation de la lutte anti-impérialiste pour des millions de gens à travers le monde. Nombreux sont ses discours qui mettent à mal les dogmes et pratiques, apparemment inflexibles, des sociétés capitalistes. Lors du sommet de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) par exemple, le 29 juillet 1987, il se prononce en faveur de l’annulation de la dette devant un parterre d’hommes politiques africains, tous plus ou moins à la botte des régimes occidentaux.  


« Les origines de la dette remontent aux origines du colonialisme. Ceux qui se sont transformés en " assistants techniques ", en fait, nous devrions dire en assassins techniques. Et ce sont eux qui nous ont proposé des sources de financement, des " bailleurs de fonds ". Un terme que l’on emploie chaque jour comme s’il y avait des hommes dont le "bâillement" suffirait à créer le développement chez d’autres. Ces bailleurs de fonds nous ont été conseillés, recommandés. On nous a présenté des dossiers et des montages financiers alléchants. Nous nous sommes endettés pour cinquante ans, soixante ans et même plus. C’est-à-dire que l’on nous a amenés à compromettre nos peuples pendant cinquante ans et plus. La dette sous sa forme actuelle, est une reconquête savamment organisée de l’Afrique, pour que sa croissance et son développement obéissent à des paliers, à des normes qui nous sont totalement étrangers. (…)La dette ne peut pas être remboursée parce que d’abord si nous ne payons pas, nos bailleurs de fonds ne mourront pas. Soyons-en sûrs. Par contre si nous payons, c’est nous qui allons mourir. Soyons-en sûrs également. Ceux qui nous ont conduits à l’endettement ont joué comme au casino. Tant qu’ils gagnaient, il n’y avait point de débat. Maintenant qu’ils perdent au jeu, ils nous exigent le remboursement. » et de conclure, le poing levé, par sa célèbre phrase « La patrie ou la mort, nous vaincrons ! »3

 



             Trois mois plus tard, il s’en va rejoindre le Panthéon des hommes intègres, au côté de Lumumba, de Sylvanus Olympio, et tant d’autres… Blaise Compaoré, ancien frère de lutte devient chef d’Etat, situation qu’il n’a pas quitté jusqu’alors. Il se ré-acoquine avec les puissances occidentales, il s’achète une villa…La Révolution n’est plus. Mais il serait restrictif de lui imputer toute la responsabilité de l’assassinat de Thomas Sankara. Bien des recherches ont montré que Félix Houphouët-Boigny (président de la Côte d’Ivoire de 1960 à sa mort en 1993) et Gnassingbé Eyadéma (président du Togo de 1967 à sa mort en 2005) y avait participé. Thomas Sankara suscitait l’intérêt des populations de ces deux pays, il risquait d’en rendre illégitime leur chef…Et puis il malmenait, on l’aura compris, les intérêts de la France et des pays occidentaux en Afrique. Notre pays, alors dirigé par le dit socialiste François Mitterrand, a aussi les mains sales.

Vingt ans après, son peuple n’a pas oublié et s’est réuni massivement le 15 octobre dernier pour célébrer la mort du martyr de la lutte pour la vie. La jeunesse burkinabé ose toujours « inventer l’avenir ». Sam’s Ka le Jah, l’un d’entre eux, musicien reggae et chanteur de la révolution se rappelle de lui au fil de ses textes. Et comme tant d’autres sur son continent, il est menacé de mort… L’Afrique n’est pas ce que veulent nous en montrer nos médias : une « mama » énorme entourée d’une flopé d’enfants au gros ventre qui se meurt doucement devant son mari polygame. Non. Il y a aussi une Afrique résistante, belle et fière qui croit encore possible la mise en place des préceptes sankaristes. Sachons ne pas l’oublier.

 

Manue

 

 

Pour en savoir plus :

  • Bruno Jaffré, Biographie de Thomas Sankara. La patrie ou la mort…, nouvelle édition revue et augmentée, l’Harmattan, 2007

  • Thomas Sankara, Oser inventer l’avenir, la parole de Sankara, [1991], New York, Pathfinder et l’Harmattan, 2006

  • www.thomassankara.net

  • http://www.samsklejah.com/

1 François-Xavier Verschave, La Françafrique, Paris, Stock, 2001

2 Discours de Thomas Sankara devant la 39ème sessions de l’Assemblée Générale des Nations Unies, 4 octobre 1984, http://www.politique-africaine.com

3 L’entièreté du discours sur http://www.thomassankara.net et en vidéo sur http://www.dailymotion.com

 


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