Safary à Vitry : chasse aux "Barbares machistes" sur fond de renouveau de l'extrême droite.
Article publié dans le numéro 11 (1.1) de L'AutreMent en Fevrier 2011
OBSERVATOIRE DES FANTASMES MÉDIATIQUES
DANS LES QUARTIERS POPULAIRES :
SAFARI A VITRY :
CHASSE AUX « BARBARES MACHISTES »
SUR FOND DE RENOUVEAU
DE L’EXTREME DROITE
« ...Les jungles de l’Afrique, lointaines et luxuriantes,
Nous offrent des spécimens de différentes variantes :
Leurs femelles sont fertiles et vaillantes, dociles et idiotes,
Elles font elles-mêmes leurs paillotes ;
Les mâles ont côtoyé éléphants et coyotes
Nourris de chasses, de pêches et de cueillettes
– Éloignez quant même vos fillettes,
Parfois le sauvage plonge dans la démence
Enrage, peut réduire un humain en miette,
Mais le passage du fouet le ramène au silence... »
La rappeuse Casey, Créature ratée, album Libérez la bête .
Le fouet de Cathy Sanchez était sorti dans son reportage « La Cité du mâle », produit par la société Dock en Stock de Daniel Leconte. Attirée par le prestige du trophée télévisuel, elle était partie à la chasse au barbare dans les cités Barbusse et Balzac de Vitry-sur-Seine où, en 2002, une jeune fille, Sohane, avait été brûlée vive par son petit-ami. Révélant que le producteur était un spécialiste de l’islamophobie doublé d’un anti-féministe, l’autre une journaliste bidonneuse et manipulatrice de ses sources d’informations, la journaliste du Monde Diplomatique Mona Chollet a condamné sèchement (1.) le couple de barbouzes Leconte/Sanchez.
Le 31 Août, Arte déprogramme « La Cité du mâle ». Mais ce n’est pas, comme l’affirme Daniel Leconte dans toute la presse à qui veut l’écrire, sous la menace « d’un individu extrêmement dangereux » (2.). Nabila Laïb, co-auteur du documentaire a tout simplement refusé la diffusion du documentaire pour « désaccord éditorial » (3.) Celle que tous les journalistes abrutis appelle « la fixeuse » – selon l’expression véhiculée par les déclarations des Leconte-Sanchez, terme employé habituellement pour le reportage de guerre – a fait seule toute l’enquête de terrain et elle a donné naïvement ses contacts personnels à Cathy Sanchez. Elle appelle Arte, scandalisée, lorsqu’elle voit le documentaire avant la diffusion et constate « l’instrumentalisation » de ses sources à des fins de « gros coup » médiatique. Le résultat est effectivement dégueulasse. Le documentaire consterne par son caractère « grossièrement bâclé, caricatural et malveillant », son « voyeurisme malsain », pour reprendre les mots de Mona Chollet. Le reportage finira par passer sur Arte fin septembre, après quelques coupes, et le floutage du visage de certains témoins.

Le discours de la petite dizaine de jeunes garçons et filles, choisi par Cathy Sanchez, est stéréotypé et violent : «On a tourné avec une quarantaine de personnes, il n’y a que les discours un peu tendancieux, sortis de leur contexte, qui apparaissent» nous éclaire Nabila Laïb (4.) Cheveux teints en blond ou pleins de gel, affublés de jeans et baskets de marques, ces jeunes reflètent de toute façon bien plus l’aliénation à la culture de masse propre à la société de consommation que celle du traditionalisme communautaire et religieux que les Leconte-Sanchez veulent leur prêter ; leur langage sexiste correspond bien plus à la « généralisation de la culture porno » selon l’expression de la sociologue Marie Duru-Bellat, valable pour toutes les classes sociales (5.)
Titré « La barbarie machiste au quotidien », l’article de Macha Séry, paru dans Le Monde du 6/09/2010, se fait l’écho crétin du discours des Leconte-Sanchez, avant que leurs diverses impostures aient été révélées. Ce titre extraordinaire de fausse conscience féministe symbolise l’influence des discours de ce type. La facilité qu’ils ont à passer inaperçu dans les grands quotidiens de l’élite leur confère une simple banalité. C’est bien là une norme, un stigmate, qu’on essaye de coller à la peau des fils d’immigrés, spécialement lorsqu’ils sont musulmans. Leconte, patron de Dock en Stock, est bien connu pour avoir été le collaborateur de l’ancienne revue Le meilleur des mondes, néoconservatrice – courant de droite dure aux Etats-Unis qui s’est distinguée par son influence sur les deux présidents Bush, et son islamophobie guerrière. Apôtre du « choc des civilisations », il fût notamment parmi ceux qui accusèrent honteusement le journaliste de France 2 Charles Enderlin d’avoir truqué les images de l’assassinat d’un enfant palestinien par l’armée israélienne en 2000. Mona Chollet rappelle aussi que son imbécile et désobligeante production « Où sont les féministes? » avait suscité un tollé.
Bref, le safari Leconte/Sanchez s’embourbe lui-même dans le profond marécage de racisme et de sexisme où il croyait pouvoir jeter facilement les jeunes de banlieue. Et comme pour maintenir un peu plus longtemps dans la boue sale, où ces deux mercenaires du spectacle se sont risqués, une contre-enquête est même menée par un jeune réalisateur Ladji Real, qui est allé rencontrer les témoins pour leur donner un droit de réponse.(6.)
« Je n’avais pas ouvert ma porte pour me faire humilier à la télé, pour qu’on fasse dire n’importe quoi à mon fils », déclare la mère d’un des jeunes adolescents filmés. Un jeune adulte, qui travaille depuis 5 ans, explique son incompréhension lorsqu’il se voit décrit dans le reportage de Cathy Sanchez comme chômeur et trafiquant...
Alors que Le discours du reportage de Dock en Stock renferme une haine rampante de l’Islam. Ladji Real révèle que les Leconte-Sanchez ont fait passer pour musulman un des jeunes les plus filmés, qui tient un propos des plus violents, alors que ce dernier s’avère être catholique. Non seulement Dock en Stock ne s’intéresse ni au sexisme dans le reste de la société, ni à la réalité de l’aliénation culturelle des fils d’immigrés – il faudrait parler d’histoire et d’économie – , mais la boîte de production a l’impudence supplémentaire de construire un scénario fait de purs fantasmes pour arriver à ses fins. Il ressort du scénario, écrit à l’avance par Cathy Sanchez dans le sens qui lui convenait (7.), la construction de personnages aux préjugés systématiquement assimilés à l’Islam et dont certains réflexes patriarcaux ou machos sont qualifiés de « fascisme ». Car le mot est bien prononcé par la réalisatrice en voix off lorsque deux adolescents font des remarques à une fille, habillée trop sexy pour eux (en fait ils se contentent de lui demander son âge, «14 ans»). Révisionnisme pur quant au sens du mot fascisme.
À la fin du visionnage de cet odieux reportage on peut avoir l’impression que le machisme et la violence sont le strict apanage des immigrés musulmans et de leurs descendants banlieusards.
Ce point de vue qui, on l’aura remarqué, trouve instantanément de très bons relais, en particulier au journal Le Monde, se répand dangereusement en dehors du cadre où il était resté pendant de nombreuses années: l’extrême droite lepéniste. Partant du phénomène très réel de repli sur soi religieux que peuvent vivre de nombreux musulmans, tout un ensemble de grossiers individus est en train de rédiger un programme pour nier leur place dans la société française, ou leur proposer une assimilation forcée.
Elie Octave (Article)
Funly (Illustration)
1. Mona Chollet, « Sur Arte, un “féminisme” anti-immigrés », http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2010-10-01-Arte
2. Le Monde 6/09/2010, Macha Séry, « La barbarie machiste au quotidien ».
3. Télérama télévision. « Doc déprogrammé : Nabila Laïb raconte les embrouilles de “La Cité du mâle”, http://television.telerama.fr/television/nabila-laib-raconte-les-embrouilles-de-la-cite-du-male,59910.php
4. Ibid.
5. Marie Duru-Bellat, L’école des filles , éd. L’Harmattan
7. Témoignage de Nabila Laïb dans l’article de Mona Chollet, « Sur Arte, un “féminisme” anti-immigrés »